Déprogrammer « J’accuse » de Polanski ou comment détourner le pouvoir de police administrative générale ?

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Déprogrammer « J’accuse » de Polanski ou comment détourner le pouvoir de police administrative générale ?

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Déprogrammer « J’accuse » de Polanski ou comment détourner le pouvoir de police administrative générale ?

En 1954, le Maire de Nice estimant le film « Le feu dans la peau » de Marcel Blistène, contraire à la morale a décidé, par arrêté du 3 décembre de cette même année, d’en interdire la projection sur le territoire de la commune.

Cette affaire a permis au Conseil d’État de poser la jurisprudence de principe en la matière par l’arrêt de section n° 36385-36428 « Société des Films Lutétia », du 18 décembre 1959.

Le conseil d’État a considéré que :
« Considérant que, si l’ordonnance du 3 juillet 1945, en maintenant le contrôle préventif institué par des textes antérieurs a, notamment, pour objet de permettre que soit interdite la projection des films contraires aux bonnes mœurs ou de nature à avoir une influence pernicieuse sur la moralité publique, cette disposition législative n’a pas retiré aux maires l’exercice, en ce qui concerne les représentations cinématographiques, des pouvoirs de police qu’ils tiennent de l’article 97 de la loi municipale du 5 avril 1884 ; qu’un maire, responsable du maintien de l’ordre dans sa commune, peut donc interdire sur le territoire de celle-ci la représentation d’un film auquel le visa ministériel d’exploitation a été accordé mais dont la projection est susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales, préjudiciable à l’ordre public ».

Sans revenir sur le régime juridique de la police spéciale exercée par le ministre de la culture relativement à la délivrance du visa d’exploitation, le maire dispose toujours, dans le cadre de son pouvoir de police générale de la possibilité d’interdire, dans tous les cinémas du territoire de la commune, la représentation ou la projection d’un film, auquel le visa ministériel d’exploitation a été accordé, si sa projection est susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être préjudiciable à l’ordre public et ce, compte tenu du caractère immoral dudit film et des circonstances locales particulières.

Le maire d’une commune est donc fondé à mettre en œuvre ses pouvoirs de police générale qu’il tient des dispositions de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, si et seulement si, les conditions posées par la jurisprudence sont établies.

Il est à préciser que les pouvoirs de police générale du maire en application de ces dispositions, ne peuvent pas faire l’objet d’un transfert au président de l’établissement public de coopération intercommunale à la différence de certains pouvoirs de police spéciale, en application des dispositions de l’article L. 5211-9-2 du même code.

Le Président d’Est Ensemble, établissement public de coopération intercommunal créé le 1er janvier 2010, regroupant neuf communes du département de Seine-Saint-Denis, a décidé de déprogrammer le film « J’accuse » de Roman Polanski, des six salles de cinéma communautaires.
Cette décision ne résulte donc pas de l’application d’un régime juridique de police administrative, mais bien d’une modalité de gestion de la compétence « Culture » de l’établissement public.

Ainsi, conscients de l’illégalité d’un arrêté de police administrative générale d’interdiction de projection du film, les maires des six communes concernées, se réfugient derrière l’exercice d’une compétence communautaire.

Le moyen tiré de l’illégalité interne de cette décision fondée sur un détournement de pouvoir manifeste, pourrait être développé le cas échéant, devant le juge administratif. En effet, il conviendrait d’analyser l’auteur de la décision (président, bureau de territoire ou conseil de territoire), ainsi que ses modalités de présentation et d’adoption.

Car en effet, un tel arrêté d’interdiction de projection du film au même titre que celui adopté par le maire de Nice en 1954, serait entaché d’illégalité. Le Conseil d’État précise en effet que l’interdiction ne peut être envisagé que si la projection du film est susceptible d’entraîner des troubles sérieux ou d’être préjudiciable à l’ordre public, à raison du caractère immoral dudit film et de circonstances locales particulières.

Autrement dit, le caractère immoral du film, analysé à la lumière des circonstances locales particulières, peut fonder une interdiction de projection. Le juge administratif n’a jamais considéré que la personnalité du réalisateur ou d’un acteur, puisse fonder à elle-seule, une interdiction de projection du film.

En effet, c’est le caractère immoral du film en lui-même, de par son scenario, sa mise en scène, son contenu, ses dialogues et également la volonté du réalisateur, qui doit être analysé par le maire, qui doit ensuite apprécier si compte tenu de circonstances locales particulières, cette projection serait de nature à entraîner des troubles sérieux à l’ordre public.

De ce fait, ce régime de police administrative qui peut paraître, pour certains élus, particulièrement contraignant, permet néanmoins de préserver la liberté d’expression inhérente à tout fonctionnement démocratique.

Et l’intérêt communautaire attaché à l’exercice d’une compétence « Culture », ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet, de restreindre ainsi la liberté d’expression, en dehors de tout fondement juridique.

Thomas Porchet
DROUINEAU 1927
Avocat

Cet article n’engage que son auteur